“L’opposition instrumentalise les droits de l’homme”, selon le gouvernement tunisien

Les organismes internationaux de défense des libertés dénoncent régulièrement la Tunisie pour ses violations des droits de l’homme. Les autorités, elles, ne cessent de parler de démocratie. Comment expliquez-vous un tel décalage entre le discours et la réalité

Vingt-deux ans après avoir pris le pouvoir, le président Ben Ali brigue un cinquième mandat. L’élection présidentielle qui se déroulera en Tunisie le 25 octobre sera sans grand suspens. L'”artisan du changement”, comme l’appelle la presse officielle, sera reconduit à la tête du pays, faute de vrai concurrent. L’opposition et les défenseurs des libertés ont du mal à faire entendre leurs voix dans un pays loué par l’Occident pour ses performances économiques.

Béchir Tekkari, 57 ans, ancien doyen de la faculté de droit de Tunis, est ministre de la justice et des droits de l’homme depuis 1999.

Les organismes internationaux de défense des libertés dénoncent régulièrement la Tunisie pour ses violations des droits de l’homme. Les autorités, elles, ne cessent de parler de démocratie. Comment expliquez-vous un tel décalage entre le discours et la réalité ?

Il ne s’agit pas d’un décalage. Etant donné que la Tunisie a adhéré à tous les mécanismes de défense des droits de l’homme, on parle d’elle davantage que d’autres pays qui ne l’ont pas fait. Nous avons surtout une opposition qui instrumentalise les droits de l’homme. Parce qu’ils n’arrivent pas à convaincre par le biais de l’islam, les extrémistes religieux essaient de se présenter comme des victimes.

Il n’y a pas que les islamistes qui se plaignent de la répression. L’opposition laïque aussi.

Je vais être clair : si le PCOT (Parti communiste des ouvriers de Tunisie) n’est pas reconnu en Tunisie, c’est qu’il a toujours prôné la violence, notamment à l’université. Nous faisons face à deux courants extrémistes, l’un qui s’inspire de l’idéologie religieuse (Ennadha, interdit), l’autre du communisme. Ni l’un ni l’autre ne répondent aux critères des partis politiques tels qu’ils sont définis par la Constitution, mais tous deux exploitent par tous les moyens la question des droits de l’homme pour mettre la Tunisie en accusation.
Malheureusement, (à l’étranger), on écoute ces extrémistes, sans prendre en compte les conclusions des organismes onusiens, en particulier le rapport de mars 2008 du Comité des droits de l’homme qui nous est favorable.

Les opposants se plaignent d’être les victimes d’innombrables mesures de rétorsion : courrier électronique détourné, campagnes de presse diffamatoires, filatures policières, passages à tabac, comme en a subi, le 29 septembre,Hamma Hammami, le dirigeant du PCOT…

Ce sont là des affirmations sans aucun fondement. Leurs auteurs n’ont qu’à porter plainte. Une instruction suivra. Certains individus provoquent ce genre d’incidents ou les fabriquent pour attirer l’attention. Ce sont des moyens déloyaux de combat politique.

L’opposition dite “réelle” accuse M. Ben Ali de promouvoir une opposition de façade et de réviser tous les cinq ans la loi électorale pour écarter tout rival sérieux…

Je refuse cette dichotomie entre une opposition soi-disant réelle et une opposition qui serait de façade! Les amendements de la loi électorale visent au contraire à augmenter le nombre de candidatures, en particulier de l’opposition. Quand nous avons procédé à ces modifications, nous n’avions tout de même pas en tête N.Chebbi ou Ben Jafaar (figures de l’opposition, sans siège au Parlement )! S’ils ne peuvent se présenter à l’élection du 25 octobre, c’est qu’ils ne répondent pas aux critères exigés. Et s’ils n’arrivent pas à entrer à la Chambre des députés, c’est qu’ils n’emportent pas l’adhésion populaire. Les partis d’opposition légale, présents au Parlement, jouent un vrai rôle critique. Le RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique, majoritaire) est un parti fort, c’est vrai, mais pas hégémonique.

Les autorités sont accusées de tenter de récupérer l’islam politique et de pratiquer un jeu dangereux…

Nous n’avons pas à “récupérer” l’islam politique puisque l’islam est religion d’Etat en Tunisie. Ce qui se passe, c’est que certains ennadawis (les membres du parti islamique Ennadha) ont choisi de se démarquer de ce mouvement, ce qui est leur droit le plus absolu. Il est de notre devoir de les accueillir.

Deux neveux du président Ben Ali, Moez et Imed Trabelsi, sont impliqués dans l’affaire des yachts volés de la Cote d’Azur. Ils ont été mis en examen par la justice française, mais devraient être jugés en Tunisie. Y aura-t-il procès, et si oui, à quelle date ?

Ce procès exige d’abord une instruction judiciaire qui établisse la culpabilité de ces personnes. L’instruction est déjà engagée, à charge et à décharge. Elle sera achevée dans des délais raisonnables, c’est-à-dire d’ici quelques mois. Je peux vous assurer que la justice tunisienne agira en toute indépendance.

Propos recueillis par Florence Beaugé

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