Etre chroniqueur sur RTL, I-télé, France 2 et au Figaro, n’autorise pas à légitimer les contrôles au faciès et la discrimination à l’embauche: c’est le message que le tribunal de Paris a fait passer vendredi à Eric Zemmour, en le sanctionnant pour ses propos extrêmement controversés sur les «Noirs et les Arabes».
La 17e chambre du tribunal correctionnel a condamné le journaliste à 1.000 euros d’amende avec sursis dans une affaire l’opposant au Mrap, SOS Racisme et la Licra, et à une peine identique dans un dossier initié par l’UEJF et J’accuse.
Zemmour devra aussi leur verser un peu plus de 10.000 euros de dommages et intérêts et faire état de ses condamnations dans un organe de presse.
Les propos incriminés remontent au 6 mars 2010. Dans l’émission de Thierry Ardisson «Salut les terriens», diffusée sur Canal+, il avait lâché, après une intervention sur les contrôles au faciès: «Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois? Pourquoi? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est comme ça, c’est un fait». Décidément en grande forme, le même jour, sur France Ô, il avait estimé, en réponse à une question qui lui était posée, que les employeurs «ont le droit» de refuser des Arabes ou des Noirs.
Certaines associations se plaignaient d’une «diffamation à caractère racial», d’autres avaient attaqué en «provocation à la discrimination raciale».
«Il a dépassé les limites autorisées du droit à la liberté d’expression»
Vendredi, le tribunal a relaxé le chroniqueur des faits de diffamation. En effet, écrit-il, «malgré le caractère abrupt et sans nuance du propos, qui a pu choquer de nombreuses personnes», le passage sur les trafiquants «n’est pas diffamatoire»: Eric Zemmour «n’affirme ni ne sous-entend l’existence d’un lien de causalité avéré ou possible entre l’origine ou la couleur de peau et une surreprésentativité prétendue parmi les trafiquants».
En revanche, le tribunal a considéré que le polémiste avait bien incité à la discrimination raciale car, «par cette phrase catégorique et péremptoire, il justifie directement et clairement les contrôles, aussi arbitraires que systématiques, envers certaines catégories de population».
Concernant ses propos sur la discrimination à l’embauche, les magistrats ont jugé que le prévenu ne pouvait «légitimer une pratique illégale, en la présentant comme licite.» En d’autres termes, écrivent-ils, Eric Zemmour a «dépassé les limites autorisées du droit à la liberté d’expression» et ce d’autant plus que c’est «un professionnel des médias et de l’expression (…) qui revendique la maîtrise des mots et de leur portée».
«Consternation» de Mariani (UMP)
Le secrétaire d’Etat aux Transports, Thierry Mariani, a exprimé sa «consternation». Aussi conseiller politique à l’UMP, il déplore «que les professionnels de l’antiracisme préfèrent se constituer partie civile, plutôt que d’assumer un débat public à la loyale» et redoute qu’une «gauche morale durablement discréditée» cherche «à imposer un climat permanent de chasse aux sorcières».
L’avocat du chroniqueur, Me Olivier Pardo, s’est réjoui que son client ait été relaxé du délit de diffamation, car selon lui, c’était «cela la grande affaire». Le délit de provocation à la discrimination raciale est pourtant passible en France d’une peine tout aussi forte: un an d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende.
Soutenu par une dizaine de militants du syndicat étudiant de droite UNI brandissant des affichettes «Politiquement correct, vérité baillonnée», l’avocat a regretté que le tribunal ait cherché «un biais pour donner satisfaction aux associations». Stigmatisant un raisonnement «extrêmement fragile», il n’a toutefois pas encore décidé de faire appel.
«Il n’y a pas de lieu dans la société française où les propos racistes peuvent se tenir impunément», lui répondait le conseil de SOS Racisme, Me Patrick Klugman, soutenu par l’avocat du Mrap, Me Pierre Mairat, qui saluait «une victoire de la République», tandis que la Licra s’est «félicitée» de la décision. Selon eux, Eric Zemmour ne pourra plus proférer de telles paroles «sans savoir que ce qu’il dit est un délit et non une opinion».
SDJ de RTL: «Ce ne sont pas nos valeurs»
Marie-Bénédicte Allaire, vice-présidente de la Société des journalistes de RTL, craint que ces propos ne noircissent l’image de la radio. Eric Zemmour y tient un billet d’humeur tous les matins. «RTL ne doit pas être associé à ces propos. Cela ne reflète absolument pas nos valeurs et nous ne sommes pas son employeur premier.»
Lors du procès, la SDJ avait demandé des comptes à la direction de la station sur l’avenir d’Eric Zemmour. «Elle a décidé de ne pas le sanctionner car il n’avait pas prononcé ces phrases à l’antenne. Mais elle regrette ces paroles». La vice-présidente de la SDJ refuse de prendre position sur une possible sanction. «Cela ne dépend pas de nous. En tout cas, de telles choses ne pourraient pas arriver chez nous parce que sa chronique est encadrée, relue.»