Le conseil d’administration de l’ASDHOM, réuni le 22 février 2015 à Paris, s’est préoccupé de la recrudescence inquiétante des atteintes aux droits humains au Maroc.
Au-delà des mouvements que mènent les détenus politiques pour améliorer leurs conditions de détention et les arrestations qui seront traités dans le point régulier de l’ASDHOM, dans le cadre de sa campagne de parrainage, le Conseil d’Administration tient à faire la déclaration suivante :
L’intrusion violente dans les locaux de l’AMDH à Rabat par une trentaine de policiers en civil, sans mandat, en dit long sur la poursuite de l’acharnement des autorités contre cette composante militante et active de la société civile marocaine. Les policiers ont molesté Rabia Bouzidi, membre de la commission administrative de l’AMDH, qui leur a fait courageusement face en refusant de leur fournir les clefs du local, avant de procéder au saccage des portes. Le but de l’opération était de mettre la main sur deux journalistes français, pris en filature et surveillés depuis leur arrivée au Maroc. Jean-Louis Perez et Pierre Chautard, journalistes d’investigation de l’Agence Premières Lignes, avaient demandé l’autorisation de filmer pour réaliser un documentaire sur l’économie marocaine pour le compte de la chaîne de télévision France3. N’ayant pas eu de réponse à leur demande, ils ont décidé de se rendre au Maroc pour effectuer des entretiens en privé sur le sujet. Tout leur matériel a été confisqué. Dépossédés même de leurs portables, ils ont été expulsés vers la France. Cette pratique est loin d’être une exception, puisqu’il y a quelques semaines une équipe de France 24 se sont vu confisquer leurs enregistrements d’entretiens avec des humoristes sur la liberté d’expression artistique au Maroc
L’invasion des locaux de l’AMDH est le prolongement des intimidations faites lors du discours du 15 juillet 2014 du ministre de l’Intérieur devant le Parlement marocain où il a chargé les organisations de défense des droits de l’Homme au Maroc en les traitant d’agents de l’étranger. L’AMDH s’est vue interdire pratiquement toutes ses activités. Les autorités sont allées jusqu’à la menacer de lui retirer son statut d’utilité publique et lui reprochent d’accueillir dans son siège des réunions et conférences d’associations non autorisées comme c’est le cas de « Freedom Now » qui milite pour la liberté de la presse.
Les autorités marocaines s’obstinent à ne pas permettre aux journalistes de mener en toute indépendance leurs investigations sur la réalité sociale, économique et politique du Maroc.
C’est justement ce que viennent de dénoncer les organisations de défense de la liberté de la presse telle que celle du Prix Albert Londres. Dans son communiqué du 20 février relatif à l’expulsion manu militari des deux journalistes français, cette association qui récompense les meilleurs reportages journalistiques a décidé d’annuler l’édition qui était prévue au mois de mai à Tanger pour protester contre cette expulsion. Elle trouve que « les conditions –précaires- de la liberté de la presse dans le Royaume sont de notoriété publique » et que « le Prix Albert Londres ne peut pas laisser planer le doute d’une quelconque indulgence pour des pratiques contraires à son éthique, encore moins d’une connivence avec des autorités qui ordonnent ou laissent faire ».
Ces atteintes aux droits humains se multiplient au lendemain de la tenue à Marrakech du Forum Mondial des Droits de l’Homme, où les officines officielles tel que le CNDH se sont mobilisées pour essayer de berner l’opinion internationale et de lui faire croire que le Maroc a tourné la page des années de plomb.
Le gouvernement français loin de se préoccuper de cette situation, s’est empressé de donner des signes dits d’amitié en décidant de décorer un dignitaire de ce pouvoir répressif en remettant l’insigne d’officier de légion pour Abdellatif Hammouchi.
Abdellatif Hammouchi, n’est autre que le patron de la DGST, le contre-espionnage marocain. C’est contre lui, rappelons-le, que trois plaintes ont été déposées en France. Deux pour « complicité de torture », déposées par l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) au nom du citoyen franco-marocain, cinéaste de son état, Adil Lamtalsi, et de Naâma Asfari, défenseur des droits de l’Homme sahraoui incarcéré à Salé. Et une troisième pour « torture », déposée par le jeune champion du monde de boxe thaïe, Zakaria Moumni.
Un épisode de brouille diplomatique conduisant le Maroc à suspendre toute collaboration judiciaire avec la France est survenu au moment où un juge français a essayé, il y a un an, de remettre une convocation à Abdellatif Hammouchi quand il était à Paris.
Le gouvernement français en se déshonorant ainsi, espère retrouver la collaboration policière avec le Maroc, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ravivée par les lâches actes commis contre les journalistes de Charlie Hebdo et les clients de supermarché cacher à Paris en janvier. Est-ce pour ces mêmes raisons d’Etat que les autorités du Maroc et de la France ont évité de dénoncer ou de s’inquiéter des menaces de mort proférées via les réseaux sociaux à l’encontre de la journaliste marocaine collaboratrice à Charlie Hebdo, Zineb El Rhazoui, et de son compagnon ?
Cette décoration est un affront aux victimes de la torture et à la justice. L’exécutif français commet une grave erreur en se rendant complice de l’Etat marocain dans sa protection d’un présumé tortionnaire. Tout est fait pour que Abdellatif Hammouchi ne soit pas inquiété par la justice, mais d’un autre côté, l’Etat marocain contre-attaque en déposant plainte contre les victimes Zakaria Moumni, Adil Lamtalsi et son soutien l’ACAT. Des convocations à se présenter devant un juge à Rabat, le 24 février 2015, leur ont été adressées.
Cette affaire est non sans nous rappeler, malheureusement et toute proportion gardée, la tristement célèbre affaire Ben Barka. Cela fait bientôt cinquante ans que cette affaire se perd entre les arcanes de la justice à cause, justement, de ces complicités des Etats qui ne veulent pas que la justice et la vérité se fassent.
L’ASDHOM rappelle à l’Etat marocain qu’il vient de signer, au sortir du Forum mondial des droits de l’Homme de Marrakech, le protocole facultatif contre la torture et qu’il a aussi déposé auprès du secrétaire général de l’ONU les instruments pour mettre en place un mécanisme national de protection (MNP). Cet engagement l’oblige à protéger ses citoyens de la torture et non d’encourager l’impunité en protégeant des présumés responsables de torture ou de crimes.
L’ASDHOM rappelle également à l’Etat français qu’il est soumis au devoir de la séparation des pouvoirs. Il doit protéger les victimes en leur facilitant l’accès à la justice et non entraver cette dernière en accordant des honneurs à des présumés responsables de crime. L’ASDHOM se félicite que des ONG telles que la LDH, la FIDH, le REMDH, le MRAP et l’ACAT, entre autres, se soient indignées de l’octroi de cette légion d’honneur en parlant de « déshonneur ».
Le Conseil d’Administration, fidèle aux engagements incessants de l’ASDHOM depuis sa création en 1984 pour la défense des droits humains universels, appelle tous les adhérents à se mobiliser pour réussir l’assemblée générale élective du 14 mars 2015.
Le Conseil d’administration de l’ASDHOM
Paris, le 22 février 2015