Contre le communautarisme, faisons voter les étrangers !

Par Jean de Boishue (Ancien secrétaire d’Etat du gouvernement Juppé)

Quelle politique d’intégration en France ? Les propositions remises à Matignon sur la « refondation des politiques d’intégration » ont relancé le débat sur l’islam et le respect des valeurs de la République. Comment lutter contre les communautarismes et la discrimination dont certains musulmans font l’objet ?

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A l’approche des élections municipales du mois de mars, la question du droit de vote des étrangers va de nouveau se poser. Depuis trente ans, la gauche française joue un jeu hésitant. En 1981, François Mitterrand avait été le premier à inscrire dans ses 101 propositions le droit de vote aux élections locales pour les étrangers « vivant depuis plus de cinq ans sur le sol français ».


LA SOCIÉTÉ A ÉVOLUÉ

Une fois élu, le président socialiste s’était empressé d’oublier sa promesse, considérant que « l’état de nos mœurs » ne permettait pas de voter une telle mesure. Depuis, la société a évolué mais le récent chassé-croisé entre M. Valls et M. Ayrault témoigne de la persistance de cette hésitation alors que, depuis vingt ans, une dizaine de pays de l’Union européenne, dont le Luxembourg, la Belgique, l’Irlande, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, ont accordé ce droit aux extracommunautaires.

Ainsi, si le débat sur le droit de vote des étrangers divise autant la société française, c’est surtout en raison des craintes de dérives communautaristes évoquées par les adversaires d’un tel projet. Cette réforme violerait en outre le lien nécessaire entre nationalité et citoyenneté et pourrait, in fine, faire le jeu du Front national.

La grande difficulté de ce débat tient en réalité à sa complexité. Elle échappe en partie aux clivages partisans. Il existe à gauche des adversaires résolus du droit de vote des étrangers qui considèrent que ce droit est, depuis la

Révolution française, inhérent à la citoyenneté et à la souveraineté. Les étrangers doivent d’abord devenir français avant de prétendre voter. Mais il existe aussi à droite des partisans du droit de vote des étrangers quand il est accordé à des individus vivant depuis plusieurs années dans une commune en y payant leurs impôts. On oublie qu’avant d’être élu président de la République Nicolas Sarkozy y était favorable.

L’opinion est partagée. Après y avoir été favorable avant 2012, elle semble, d’après les sondages, avoir changé, même si la proportion de Français opposés à ce droit semble à nouveau en baisse, notamment chez les jeunes qui seraient désormais ouverts à une telle réforme.

LES EFFETS D’UNE ABSENCE DE RÉFORME

Il importe moins d’éplucher les sondages que d’essayer de réfléchir sur les tenants et les aboutissants d’une telle réforme, mais aussi sur les effets d’une absence de réforme. Les adversaires du droit de vote des étrangers considèrent que cette mesure serait de nature à favoriser les communautarismes et donc de freiner l’intégration de populations étrangères.

Mais peut-on, à l’inverse, affirmer que l’intégration sera facilitée en France si on refuse aux étrangers légalement établis dans notre pays le droit de vote aux élections locales ? N’est-ce pas au contraire le pari inverse qu’il faut faire ?

En donnant le droit de vote à des étrangers qui se conforment aux lois de notre pays, on crée un cercle vertueux susceptible de favoriser l’intégration de ces derniers à la communauté française. D’ailleurs, dans tous les projets évoqués, le droit de vote ne peut être accordé qu’à des personnes vivant depuis plus de cinq ans en France et donc ayant vocation à acquérir la nationalité française de par la loi.

En devançant la naturalisation par la citoyenneté locale, c’est une façon pour la République de montrer sa volonté de faire un geste envers ceux qu’on entend détourner des tentations communautaires.

Force est de constater que nous sommes désemparés devant l’ampleur des phénomènes migratoires. Nous nous disions de culture universelle quand la France était une grande puissance, quand la langue française dominait l’Europe. Et maintenant ?

NE JAMAIS RENONCER À INTÉGRER

Oui, maintenant que les rapports de force dans le monde ont changé, qu’il n’existe plus de cultures dominantes, que des populations se sont mises en marche, devrions-nous renoncer à tout : notre singularité, notre humanisme, notre talent d’enrichir la nation par d’autres modèles que les nôtres ?

Assurer la continuité française, c’est ne jamais renoncer à intégrer. Se barricader dans nos frontières condamne la France à mourir exsangue. On a perdu la recette de l’intégration à la française. La voie royale de l’école de Jules Ferry n’y suffit plus : elle plie sous le nombre, elle doute, en proie à la violence des vents du monde, elle souffre de défiances.

Si je crois indispensable de donner ce droit aux étrangers en situation régulière, c’est parce qu’il est urgent de trouver de nouveaux chemins d’intégration. Gauche et droite sont contre. A tort : il est grand temps de renoncer à nos blocages millénaristes.

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