Enfin des cartes de séjour pour les réfugiés de Choucha

Il aura fallu attendre deux ans et la fermeture officielle par le HCR du camp de Choucha pour que les autorités tunisiennes se décident à prendre des mesures concrètes afin de permettre l’accès aux droits des réfugiés. Ces naufragés de la guerre menée contre le régime de Kadhafi en Libye vont en effet recevoir des titres de séjour, a annoncé le premier ministère, alors qu’ils s’apprêtaient à passer leur troisième été dans le désert tunisien.

Circuler : une question de survie

Après plus de deux années passées sous des tentes dans le Sud tunisien, entre un poste frontière et une petite ville de province, les centaines d’habitants du camp de Choucha en Tunisie, vont enfin recevoir des documents leur permettant normalement de résider, de circuler et d’accéder au marché du travail et aux services publics dans le pays. Alors même que l’aide alimentaire était suspendue depuis plusieurs mois et l’eau régulièrement coupée dans le camp, ces réfugiés n’avaient théoriquement pas le droit de circuler en Tunisie.

Les conditions de vie inhumaines à Choucha ont cependant fait qu’ils ont été nombreux à braver presque quotidiennement cet interdit pour trouver de quoi manger, voire des petits boulots dans la ville voisine de Ben Guerdane, à une dizaine de kilomètres de là. Certains ont même rejoint les grandes villes de la côte ou Tunis pour manifester leur mécontentement tout au long de ces deux années passées à guetter le bout du tunnel. D’autres encore ont rejoint la Libye pour tenter la traversée de la Méditerranée à destination de l’Europe.

Tracasseries et interpellations à répétition

Mais, ces déplacements hasardeux se sont souvent soldés par des contrôles et des interpellations. Laissés sans titre de séjour depuis leur arrivée en 2011, les réfugiés arrivés de Libye qui tentaient de remonter vers le nord ont vu plus d’une fois leur trajet s’achever au poste de police ou de garde nationale avant qu’ils ne soient reconduits manu militari vers Choucha.

Leurs contacts et leurs soutiens ne comptent plus le nombre de fois où le taxi collectif qui devait les transporter arrivait à Tunis avec des sièges vides alors qu’ils apprenaient par téléphone l’arrestation des migrants qu’ils attendaient. Les forces de l’ordre elles-mêmes ne manifestaient pas grand enthousiasme à les interpeller, mais la situation irrégulière de ces voyageurs ne leur laissait pas le choix.

Parmi les centaines d’habitants du camp de Choucha, certains s’en sortaient cependant mieux que d’autres. Les réfugiés reconnus comme tels par le HCR (aussi appelés « statutaires ») faisaient valoir leur statut, document à l’appui, pour franchir les contrôles sur les routes. Mais, faute d’un cadre juridique en matière d’asile, leur situation restait floue, et ils ne devaient leur salut qu’au bon vouloir ou à la méconnaissance de la loi par les agents.

Un titre de séjour, des hébergements et des offres d’emploi selon le gouvernement

Cette situation devrait rapidement changer. Le premier ministère a fait savoir ce jeudi 18 juillet qu’il allait délivrer une carte de séjour provisoire. Bonne nouvelle pour les habitants de Choucha : cette procédure concerne aussi bien « les personnes ayant le titre de réfugiés et qui n’ont pas été réinstallées et celles qui n’ont pas ce titre ». L’administration tunisienne a ainsi décidé de ne pas opérer sur ce point la même discrimination entre réfugiés statuaires et non statutaires.

De plus, le ministère des Affaires sociales annonce qu’il fournira des places en « centres d’hébergement pour les réfugiés dans toutes les régions de la République », ainsi que des offres d’emploi pour les réfugiés statutaires. Celles-ci, au nombre de 700 selon le ministère, seront mises à leur disposition auprès du HCR. Les non statutaires en revanche pourraient se retrouver écartés de ces offres et contraints de se débrouiller par eux-mêmes pour assurer leur subsistance.

Une avancée tardive
choucha-2.jpg

Seul bémol, il aura fallu attendre presque deux ans et demi et la date officielle de la fermeture du camp le 30 juin dernier pour pousser le gouvernement tunisien à se pencher sur le problème. Jusqu’à présent, les ministères concernés (Intérieur et Affaires sociales en tête) se déchargeaient volontiers de leurs responsabilités sur le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et vice versa.

Nicanor Haon, responsable du département migration au Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), salue cette initiative qui permettra, si tout se passe bien, « aux réfugiés de circuler et de vivre dignement en Tunisie ». « Il est tout de même navrant que cela n’intervienne qu’après plus de deux ans de vie dans les conditions infâmes du camp de Choucha », ajoute M. Haon qui rappelle les tracasseries perpétuelles

Les réfugiés encore nombreux à prendre la mer faute de pouvoir s’intégrer en Tunisie

« L’absence de cadre juridique en matière d’asile risque toutefois de poser des soucis dans un proche avenir », explique ce spécialiste des questions migratoires, qui invite les autorités à se pencher rapidement sur la question. M. Haon rappelle surtout que nombre de réfugiés ne souhaitent pas rester en Tunisie et ont déjà pris la mer vers Lampedusa depuis la Tunisie ou la Libye, dont certains réfugiés statutaires grâce à l’aide versée par l’UNHCR pour les aider à s’intégrer en Tunisie.

« Cela ne règle pas le problème principal, qui est que sans solution de réinstallation en Europe, les réfugiés repartent d’eux-mêmes vers la Libye ou Lampedusa, au péril de leur vie. Depuis plusieurs mois, nous revendiquons la réinstallation de tous les réfugiés de la crise libyenne dans des pays dotés de systèmes d’asile » termine-t-il en pointant non seulement l’absence de loi en matière d’asile, mais aussi les incidents à caractère raciste qui se sont multipliés depuis l’arrivée des vagues de réfugiés.

Pour le moment, tous les réfugiés du camp sont invités à se rendre aux postes de police et de la garde nationale pour régulariser leur situation. Sur le terrain, les consignes n’ont visiblement pas été transmises pour le moment. Quelques réfugiés qui se sont rendus au poste de garde nationale du camp de Choucha rapportent que les agents ont affirmé ne pas avoir été informés.

Rached Cherif

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

%d blogueurs aiment cette page :