Dimanche 21 novembre 2010
Proposé par S. Bensedrine O Mestiri le Dimanche 21 novembre 2010
La saga judiciaire dont est victime le grand reporter radio, Mouldi Zouabi n’est pas près de se terminer. Le mercredi 24 novembre, il comparait encore une fois devant le tribunal de première instance de Jendouba pour répondre d’accusations montées de toutes pièces pour lesquelles il risque 5 ans de prison. Voici pourquoi ce journaliste dérange en haut lieu.
Rien ne prédestinait Mouldi Zouabi à devenir reporter ; ni ses études en littérature arabe, ni l’école d’animateurs sociaux qu’il dirigea quelques années. C’est par le plus pur des hasards qu’il s’est trouvé projeté dans ce métier à haut risque après qu’un organe d’un parti d’opposition (El Mawkif) lui confia une enquête sur des inondations qui firent plusieurs morts dans un village du Nord-ouest de la Tunisie, avec de graves accusations de négligence pointant les autorités locales. Les reportages qu’il en tira avaient impressionné plus d’un. Il se fait alors commander une série de reportages sociaux par une chaine de TV d’opposition émettant d’Europe (Al Hiwar Ettounsi); là encore, il excelle, comme s’il avait fait ce métier depuis toujours.
La répression stimule les talents
C’est avec Radio kalima qu’il se met à exercer ce métier à plein temps. Ses animateurs entendaient toucher un public plus large que les cercles de dissidents auxquels ils faisaient parvenir informations, enquêtes et analyses, malgré le blocage du site, hébergé en Europe. Le 26 janvier 2009 elle commence à diffuser à partir de l’Europe sur le satellite Hotbird*.
Mais le lendemain, ses locaux à Tunis sont assiégés par plusieurs dizaines de policiers en civil. Trois jours plus tard un procureur débarque, saisit le matériel, appose des scellés et engage des poursuites contre ses dirigeants pour «utilisation de fréquences sans autorisation».
Au lieu de sa fin escomptée, l’épreuve allait marquer le véritable départ de l’épopée de radio kalima. Ses émissions quotidiennes se poursuivirent et le nombre de ses auditeurs fut boosté par l’ampleur de l’écho médiatique. La brutalité de l’assaut policier allait obliger l’équipe à se redéployer et à se réorganiser en réseau. Privés de locaux, les journalistes allaient défier le harcèlement policier permanent en se plongeant au cœur de la réalité sociale. Les réunions seront hebdomadaires via Internet. Les enregistrements seront uploadés et édités en Europe. C’est dans ce contexte que Mouldi va donner le meilleur de lui même.
Son audace, sa capacité à mener des investigations sur des sujets tabous, à faire parler les gens dans les zones les plus reculées et à donner la parole aux oubliés de la République le distingue. Ce n’est pas seulement les auditeurs qui apprécient la qualité de son travail, les autorités ont l’œil sur lui. Ils commencent par lui assigner une équipe de policiers qui le suit régulièrement; il parvient parfois à déjouer leur filature et pousse ses investigations dans les bleds perdus sur la corruption de l’administration locale qui «oublie» de distribuer l’aide publique aux pauvres, persuadée que l’œil des médias ne viendra jamais les perturber dans les trafics en tous genres qu’ils pratiquent. Dès que ces reportages sont diffusés, les autorités accourent pour «corriger» ces abus en faisant promettre aux bénéficiaires de ne plus s’adresser à Mouldi Zouabi!
Les héros de Mouldi
Ses héros, évacués de nos antennes publiques, bravent les canons de la notoriété, défient l’adversité et parlent le langage de la vérité; ce sont ces enfants de 8 ou 10 ans evacués des statistiques sur la scolarisation, qui travaillent toute la journée dans les montagnes à ramasser des fruits des bois pour les vendre sur le bord des routes pour faire vivre leurs familles ou qui transportent sur leur frêles corps des bidons d’eau potable vers leurs villages enclavés et maintenus hors de la géographie et de l’histoire de la Tunisie officielle.
Ils s’appellent Kamel, le paysan de Fernana, jeté en prison après avoir fui vers l’Algérie avec toute sa famille parce que la police a mis son unique vache à la fourrière; ou Abdelhaq, l’infirmier de Béja qui se voit expulsé de sa maison, dont un potentat lorgnait le terrain, par des moyens dignes d’un western : plus de 150 policiers font irruption dans la maison, vidée de ses occupants menottes aux mains, y compris une handicapée sur chaise roulante et les meubles et bagages jetés dans la rue en quelques minutes. Il s’acharne et plante une tente devant ce que fut sa maison où il vivra des semaines durant avec sa famille.
Elle s’appelle aussi Aziza, la championne de Tunisie de marathon, marginalisée et oubliée des autorités qui s’investit corps et âme pour le marathon de la vie, femme chef de famille tenue d’assurer le quotidien de ses enfants en parcourant à bicyclette les marchés environnants pour vendre les légumes de son potager.
Ou encore Alaya, l’ingénieur interné dans un hôpital psychiatrique pour avoir tenté de se porter candidat aux élections présidentielles; Mouldi réussit à enregistrer un entretien avec lui de l’intérieur de l’hôpital où il raconte comment la police l’a kidnappé et placé à l’hôpital.
Ils sont autant d’anti-héros de Ben Ali qui ne vivent pas de l’assistanat, retors à tout embrigadement, sachant qu’ils ne doivent rien à ce régime dont ils combattent les abus sur leurs propres vies.
Des reportages qualifiés de trahison
Les autorités cherchent surtout à tarir la source de leurs ennuis et dissuader le journaliste de poursuivre ses reportages qui révèlent une face de la Tunisie que la propagande officielle préfère nier. Son domicile est sous une surveillance permanente ; des policiers en civil harcèlent sa famille. Ils vont jusqu’à faire pression pour exclure son jeune fils d’une école.
La surveillance policière se resserre encore, les policiers le poursuivent jusqu’à l’intérieur d’un cabinet médical où sa femme se soigne, dans les cafés où il s’attable ainsi que devant les domiciles de ses proches à qui il rend visite ; c’est une véritable mise en quarantaine qui se met en place visant à en faire un paria social.
Sa connexion Internet continue d’être coupée malgré un recours en justice qu’il a introduit depuis février 2010; Les cybercafés qu’il fréquentait aux alentours de son domicile ont été tous fermés; Maintenant il est obligé de parcourir les villes environnantes pour envoyer à la radio son travail.
Lorsqu’il se déplace à Béjà, une autre ville du Nord-ouest, pour couvrir des événements, il est arrêté longuement à l’entrée de la ville pour « vérification d’identité » avant qu’on ne le laisse partir, escorté par ses « anges gardiens ». Il tente de déposer une plainte pour entraves à la libre circulation au parquet de Béjà, les agents de police lui font barrage et l’empêchent d’accéder au palais de justice. Toutes les personnes à qui il s’adresse sont elles-mêmes interrogées sur le contenu des échanges qu’il a eu avec elles.
Pour Mouldi, la menace se fait de plus en plus pressante. Il est arrêté au commissariat de Montplaisir à Tunis et détenu durant plus de huit heures, alors qu’il s’apprêtait à faire une interview au célèbre homme d’affaires Bouebdelli, lui même spolié de ses biens.
La mise en scène se prépare et le décor est planté; un jour, alors qu’il sortait d’un café Internet à Jendouba, arrivé à hauteur du poste de police du district, il est interpellé par un homme ; l’individu sort d’une voiture au vitres teintés, lui demande s’il s’appelle bien Mouldi Zouabi et dès que ce dernier aquiese, il se jette sur lui en le frappant, le rouant de coups et brisant ses lunettes de vue; le barbouze a proféré des menaces contre lui en l’insultant vulgairement, le traitant de « traitre à la partie » qui « salit l’image du pays » et qui « va payer cher sa trahison ».
Une bataille perdue contre Mouldi
Mouldi Zouabi dépose le jour même une plainte au parquet de Jendouba après avoir été examiné par un médecin qui lui a délivré un certificat médical attestant des blessures provoquées par l’agression. Quatre mois plus tard, il apprend que la plainte qu’il avait déposée a été classée pour « insuffisance de preuves » et que son agresseur le poursuit pour les faits dont lui même avait été victime!
Il comparait le 14 juillet devant le tribunal cantonal de Jendouba pour répondre de l’accusation de «violences aggravées et injures publiques ». Au terme d’un feuilleton judiciaire qui aura duré tout l’été 2010, le tribunal cantonal se déclare incompétent, le 6 octobre, approuvant une demande de requalification des faits déposée par la partie civile.
Les 22 avocats de la défense se retirent de l’audience, dénonçant « une mascarade judiciaire », suite au refus de la cour de considérer les éléments à décharge, de procéder à la confrontation avec les témoins anonymes du plaignant, d’ouvrir une enquête sur les faits avérés d’agression subie par Mouldi Zouabi de la part de ce même plaignant et d’entendre enfin les témoins à décharge.
Zouabi a comparu le 10 novembre devant le Tribunal de première instance de Jendouba, cette fois pour « coups et blessures et diffamation » Personne ne se fait d’illusion sur l’issue de ce procès ; il sera condamné, comme le furent les autres journalistes qui ont subi ces montages politico-judiciaires, comme Taoufik Ben Brik, Zouhair Makhlouf et aujourd’hui Fahem Boukaddous qui purge une peine de 4 ans de prison.
Mais Mouldi a déjà gagné la partie ; les autorités ont décidé de lancer une radio spéciale pour le Nord ouest, SA région, pour contrer ses reportages très écoutés ; une bataille perdue d’avance car le langage de la vérité va droit au coeur, ce que la propagande n’atteindra jamais.
Omar Mestiri & Sihem Bensedrine