Joseph Massad, The Electronic Intifada
La seule constante dans la vie des Palestiniens de ce dernier siècle d’atrocités sionistes a été de résister contre le projet sioniste de les rayer de la surface de la terre.
L’une des multiples rafles des nazis contre les juifs polonais lors du soulèvement du Ghetto de Varsovie, en mai 1943 (Photographe non connu)
Les alliances entre les régimes arabes et Israël
On est souvent déconcertés par l’ironie des relations internationales et les alliances qu’elles favorisent. Prenez par exemple l’implantation coloniale israélienne qui, dès le début, a déclaré la guerre au peuple palestinien et à plusieurs pays arabes alors qu’en même temps, Israël formait des alliances avec de nombreux régimes arabes et des dirigeants palestiniens.
Si nous avons toujours connu et été informés sur les relations hashémites/sionistes et Eglise maronite/sionistes, ce fut moins le cas sur les services qu’Israël a apporté, et continue d’apporter, aux régimes arabes durant toutes ces décennies. Il est maintenant reconnu que l’invasion de l’Egypte par Israël en 1967 visait, et a réussi, à abattre Gamal Abdul-Nasser, l’ennemi de tous les dictateurs alliés des Etats-Unis parmi les régimes arabes ; Nasser que les Etats-Unis et avant eux, la Grande-Bretagne et la France, essayaient en vain de renverser depuis les années 50. Israël rendait ainsi un grand service aux monarchies arabes (et à quelques républiques), de « l’océan au Golfe », dont la survie était menacée par Nasser et le nassérisme. L’intervention d’Israël suivante, en Jordanie en 1970, pour aider l’armée jordanienne à éliminer les guérilleros de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et ses invasions massives au Liban en 1978 et 1982 pour écraser définitivement cette organisation, ont été elles aussi d’importants services rendus à ces mêmes régimes menacés par le potentiel « révolutionnaire » de l’OLP et ses prises de positions parfois récalcitrantes. Les Renseignements israéliens ont aussi fourni durant ces décennies des informations cruciales à plusieurs régimes arabes pour leur permettre d’éliminer leurs opposants politiques et de renforcer leur pouvoir dictatorial. Comme exemples éloquents de ces bénéficiaires des largesses des Renseignements israéliens, on trouve les dictatures du Maroc et d’Oman.
Les services qu’Israël rend aux régimes arabes se poursuivent à un rythme accéléré. Son invasion du Liban en 2006, conçue pour anéantir le Hezbollah, fut acclamée par les régimes arabes et les intellectuels arabes néolibéraux hostiles au Hezbollah, et utilisée exclusivement par les médias saoudiens. Bien que la destruction massive du sud du Liban et du sud de Beyrouth par Israël et le massacre de plus d’un millier de Libanais aient renforcé le Hezbollah et entaché la réputation de l’armée d’Israël, l’invasion a été très appréciée par les alliés arabes d’Israël. Effectivement, depuis 2006, ces alliés d’Israël, autant que les intellectuels arabes néolibéraux, ont été ouvertement sollicités par Israël pour neutraliser la prétendue « menace » iranienne, dans son propre intérêt et sur son ordre. Les Etats-Unis ont vu que c’était là le bon moment pour intégrer Israël dans la région, ils ont donc fait signe à leurs alliés du Golfe de faire des propositions pour une nouvelle alliance régionale comprenant Israël. Le ministre des Affaires étrangères de Bahreïn a suggéré il y a quelques semaines qu’Israël rejoigne la Ligue arabe. Nombre de telles propositions ont déjà été formulées depuis quelques mois pour accueillir l’implantation coloniale au sein d’une alliance régionale contre l’Iran.
Depuis 2006, les régimes arabes, les intellectuels arabes néolibéraux et l’Autorité collaborationniste palestinienne (ACP) de Ramallah, sont parvenus à s’entendre du fait que seul Israël pourra les sauver du Hezbollah et du Hamas, deux organisations qui constituent une menace pour l’alliance ouverte des régimes arabes avec les Etats-Unis et Israël contre l’Iran et toutes les forces progressistes de la région. Il ne s’agit pas d’un secret qu’ils espéraient garder jalousement mais de stratégies ouvertement débattues en réunions privées et qui souvent transparaissent dans la sphère publique. Les interventions des médias arabes et les déclarations des officiels israéliens dans le contexte des massacres israéliens continus contre le million et demi de Palestiniens de Gaza ces dix derniers jours, n’ont guère fait preuve d’imagination. Une véritable alliance ouverte existe aujourd’hui entre l’Autorité collaborationniste palestinienne, les régimes arabes et Israël avec le soutien des intellectuels arabes néolibéraux, alliance dans laquelle Israël sous-traite pour les autres l’anéantissement du gouvernement Hamas – le seul gouvernement démocratiquement élu de tout le monde arabe.
Rappelons ici que le Hamas a été démocratiquement élu par des élections libres et que des responsables et membres du parlement élu ont été enlevés par l’occupant israélien et croupissent toujours dans les prisons israéliennes et que l’Autorité collaborationniste palestinienne a incendié leurs bureaux, monté des grèves contre eux et demandé à la bureaucratie de l’ACP de ne pas obéir à leurs ordres. C’est après toutes ces tentatives pour déloger le Hamas du pouvoir que les Etats-Unis, Israël et l’APC ont organisé un coup d’Etat [en juin 2007] pour éliminer les dirigeants du Hamas de Gaza mais qui s’est retourné contre eux. Le carnage déclanché par Israël ces dix derniers jours représente la dernière tentative israélienne pour s’assurer que tous les Arabes et tous les Palestiniens seront dirigés par des dictateurs et jamais par des responsables démocratiquement élus.
Beaucoup se demandent comment les régimes arabes et l’ACP peuvent être dénués à ce point de toute honte dans leur « trahison » des Palestiniens. « Ne craignez-vous pas que le peuple vous renverse ? » est la question maintes fois répétée. La réponse, évidemment, est « non ». Il est vrai que la collaboration d’Israël avec les régimes arabes n’est pas nouvelle, ce qui est nouveau c’est simplement que ce soit devenu public, mais il y a de bonnes raisons à cela. Dans les années 40 et 50, ces mêmes régimes ne pouvaient afficher ouvertement leur alliance avec Israël alors qu’il existait des forces populaires et internationales qui les auraient destitués s’ils s’y étaient hasardés. En effet, certains à l’époque flirtaient avec les alliances auxquelles participaient Israël mais pas officiellement, tel le Pacte de Bagdad, quoique ils ont payé cher une telle collaboration. La Guerre froide, le révolutionnarisme du tiers-monde, le nationalisme arabe, l’Union soviétique, la Chine, Nasser, sont tous des facteurs à prendre en compte. Bien que certains existaient encore quand Sadate d’Egypte a déclaré publiquement son alliance avec les USA et Israël à la fin des années 70, plus aucun n’existe aujourd’hui. Les Etats-Unis, Israël et leurs alliés arabes ont neutralisé ces forces, une par une, depuis 1967, ouvrant la voie à une alliance éhontée entre Israël et les dictatures arabes et tous servent les intérêts américains dans la région. Ces régimes arabes règnent par la terreur et la peur et ont à leur disposition la meilleure police secrète et le meilleur appareil sécuritaire répressif que les USA peuvent former et équiper, et que l’argent du pétrole et l’aide américaine peuvent financer.
Quand le présentateur d’Al-Jazeera a demandé à brûle-pourpoint à la ministre des Affaires étrangères israélienne, Tzipi Livni, si Israël avait un accord avec les régimes arabes pour se livrer aux massacres à Gaza, elle a refusé de répondre pour, finalement, nier qu’un tel arrangement existait, sans pouvoir préciser, mais elle a affirmé qu’il y en avait dans le monde arabe qui « pensaient » comme Israël et que le Hamas était leur ennemi comme il est l’ennemi d’Israël.
C’est d’ailleurs la même Tzipi Livi qui, il y a seulement quelques semaines, informait les citoyens palestiniens d’Israël qu’elle envisageait leur dénationalisation et leur déportation vers les bantoustans palestiniens, une fois qu’Israël et la communauté internationale auront reconnu à ces prisons de Cisjordanie le statut d’Etat palestinien indépendant, enfermé derrière le mur d’apartheid. Après le déclanchement de sa guerre contre les Palestiniens, la semaine dernière, Livni a déclaré que sa guerre contre le peuple palestinien n’était pas seulement une question de sécurité mais qu’elle touchait aussi aux « valeurs » d’Israël que les Palestiniens non collaborateurs (contrairement à l’ACP) ne partageaient pas. Livni est d’accord bien entendu. Contrairement à elle et aux dirigeants israéliens dont les idéaux et les projets de nettoyage ethnique visent à faire d’Israël un Etat purement juif vidé des Palestiniens (Palästinenser-rein), la plupart des Palestiniens croient qu’ils resteront sur leurs terres, même et surtout si cela souille la pureté d’un Israël juif.
Livni a également affirmé que les valeurs d’Israël étaient partagées par le « monde libre » et par les régimes arabes libérés qui sont les alliés du « monde libre ». Ajoutons que ces valeurs sont également partagées par les intellectuels arabes néolibéraux subventionnés par les Saoudiens, et par la direction de l’Autorité collaborationniste palestinienne casée dans la zone verte de Ramallah. Les valeurs civilisées d’Israël ne sont pas différentes de celles défendues par les Etats-Unis dans leur guerre constante contre les Arabes et les musulmans, et elles sont très proches des valeurs coloniales européennes de la grande époque du colonialisme et au-delà. Livni et les dirigeants israéliens parlent de droits de l’homme, de démocratie, de paix et de justice comme valeurs universelles, mais ils ne les appliquent qu’aux juifs et les refusent surtout aux Palestiniens. Cela n’est guère qu’une ruse israélienne. Souvenons-nous des propos impérissables de Frantz Fanon à cet égard : « Quittons cette Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde. » (1)
Sur le front palestinien, le mandat et le coup d’Etat de Mahmoud Abbas, chef collaborateur palestinien, prennent fin le 9 janvier. Israël espère prolonger son règne collaborationniste en tant que chef de l’ACP mise en place par les accords d’Oslo en 1993. Alors que des Palestiniens se font tuer et blesser par milliers, les puissances mondiales néanmoins l’y encouragent. Ce n’est guère nouveau. Cela s’est souvent produit dans d’autres cas de massacres de populations par des alliés des Etats-Unis et de l’Europe, cela s’est même produit durant la Deuxième Guerre mondiale pendant le génocide nazi. Le 19 avril 1943, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis se rencontraient aux Bermudes, vraisemblablement pour discuter de la situation des juifs dans l’Europe occupée par les nazis. Ce fut aussi le jour où les nazis lançaient leur attaque contre les juifs qui restaient dans le Ghetto de Varsovie, y rencontrant une résistance inattendue, pleine de courage. Bien peu est ressorti de la conférence des Bermudes et la guerre a continué contre le Ghetto de Varsovie, sans interruption. La résistance juive dans le Ghetto de Varsovie a exécuté des juifs qui collaboraient avec les nazis et s’est bravement affrontée à l’armée nazie avec le peu d’armement qu’elle possédait, avant d’être exterminée. Son soulèvement a toujours été une source d’inspiration pour les Palestiniens. A l’âge d’or de l’OLP, symbole de la libération palestinienne, l’organisation déposait une couronne mortuaire sur le monument au Ghetto de Varsovie, en l’honneur de ces héros juifs qui étaient tombés.
La résistance des juifs du Ghetto de Varsovie contre l’occupant
Szmul Zygielbojm était le dirigeant du parti socialiste juif, le Bund (2), en Pologne et avait participé à la résistance contre l’invasion nazie en 1939. Il sera plus tard otage des nazis puis libéré et deviendra membre du Conseil juif, ou Judenrat (3) – l’équivalent pour les nazis de l’ACP créée par les Israéliens -, qui fut chargé de la construction du ghetto juif à Varsovie. Zygielbojm s’est opposé à l’ordre nazi et a fui en Belgique, en France, aux Etats-Unis, et en 1942 il a fini à Londres où il a rejoint le gouvernement polonais en exil. Le 12 mai 1943, après avoir été informé que la résistance dans le Ghetto de Varsovie avait finalement été écrasée et que beaucoup de ses combattants avaient été tués, Zygielbojm a ouvert le gaz dans son appartement à Londres et il s’est suicidé pour protester contre l’indifférence et l’inaction des Alliés devant la situation désespérée des juifs dans l’Europe occupée par les nazis. Ce qu’il a ressenti, c’est qu’il n’avait pas le droit de vivre après que ses camarades aient été tués en résistant aux nazis. Dans sa lettre de suicide, Zygielbojm insiste sur le fait que pendant que les nazis se rendaient responsables de l’assassinat des juifs polonais, les Alliés, par leur inaction, s’en rendaient aussi coupables :
« D’après les dernières nouvelles qui nous viennent de Pologne, il est clair, au-delà de tout doute, que les Allemands assassinent actuellement les derniers survivants juifs de Pologne avec une cruauté sans borne. Derrière les murs du Ghetto, le dernier acte de cette tragédie se joue.
La responsabilité de cet assassinat de toute la nationalité juive de Pologne repose d’abord sur tous ceux qui y ont participé, mais indirectement elle retombe aussi sur l’ensemble de l’humanité, sur les peuples des nations alliées et leurs gouvernements qui, jusqu’à ce jour, n’ont pris aucune véritable mesure pour mettre fin à ce crime. En regardant passivement cet assassinat de millions d’enfants, de femmes et d’hommes sans défense, ils ont pris une part de la responsabilité…
Je ne peux continuer à vivre et à rester silencieux pendant que les survivants de la communauté juive de Pologne, dont je suis un représentant, se font assassinés. Mes camarades dans le Ghetto de Varsovie tombent les armes à la main dans une ultime bataille héroïque. On ne m’a pas permis de tomber comme eux, avec eux, mais je les rejoins après leur mort à tous.
Par ma mort, je tiens à exprimer ma plus profonde protestation contre l’inaction dans laquelle le monde s’est contenté de regarder et qui a permis la destruction du peuple juif… »
L’Autorité collaborationniste palestinienne qui dirige le Judenrat mis en place par Oslo n’a jamais tenté de résister aux ordres israéliens. Pas un seul des membres de sa haute direction n’a décidé de démissionner et de ne pas servir. Mahmoud Abbas, qui a rendu tant de services déshonorants à Israël, n’a pas l’intégrité d’un Zygielbojm, ni ses nobles principes et n’en suivra jamais la trace.
Pendant ce temps, le peuple palestinien va résister à l’envahisseur israélien de toutes ses forces avec un handicap astronomique. Le peuple palestinien, comme Zygielbojm avant lui, a très bien compris qu’Abbas, sa clique, les régimes arabes, les Etats-Unis et l’Europe étaient tous responsables de leur massacre tout autant qu’Israël. Zygielbojm a, dans son cas, condamné les puissances du monde pour leur indifférence et leur inaction, dans le cas des Palestiniens, les puissances mondiales et régionales sont des co-conspiratrices et des partenaires actifs dans le crime.
L’écrasement du soulèvement du Ghetto de Gaza et le massacre de sa population sans défense seront une tâche relativement aisée pour la machine de guerre militaire superpuissante israélienne et la direction politique sadique d’Israël. C’est en rapport avec une détermination palestinienne renforcée à continuer de résister à Israël, une détermination qui va se révèler beaucoup plus difficile à affronter pour Israël et ses alliés arabes. Si des milliers de Palestiniens tués et blessés sont les principales victimes de cette dernière guerre terroriste israélienne, le principal perdant de tout cela sur le plan politique sera Abbas et sa clique de collaborateurs. Le défi pour la résistance palestinienne maintenant est de continuer à refuser à Israël le droit de dominer sa population, de voler sa terre, de détruire ses moyens de subsistance, de l’emprisonner dans des ghettos et de l’affamer sans résister.
La seule constante dans la vie des Palestiniens de ce dernier siècle d’atrocités sionistes a été de résister contre le projet sioniste de les rayer de la surface de la terre. Tandis que le sionisme, depuis son implantation, recherche et recrute des collaborateurs arabes et palestiniens dans l’espoir d’écraser la résistance palestinienne, ni Israël ni aucun de ses collaborateurs n’ont été capables de l’arrêter. La leçon que le sionisme a refusé d’apprendre, et refuse toujours d’apprendre, c’est que le désir ardent des Palestiniens de se libérer du joug sioniste ne pourra pas s’éteindre, quelle que soit la barbarie à laquelle peut arriver Israël dans ses crimes. Le soulèvement du Ghetto de Gaza marquera à la fois un nouveau chapitre de la résistance palestinienne au colonialisme, et la dernière brutalité coloniale israélienne dans une région où les peuples n’accepteront jamais la légitimité d’une implantation coloniale européenne raciste parmi eux.