Halde : une disparition programmée ?

Le départ de Jeannette Bougrab, entrée au gouvernement lors du remaniement, laisse la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité sans président. Une situation qui pourrait perdurer jusqu’à ce que la dissolution de l’institution soit actée.

Maintenant que Jeannette Bougrab a troqué la présidence de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) pour le maroquin de la Jeunesse et de la vie associative, quel va être le sort de cette institution ? La logique voudrait que le président de la République nomme un successeur à Jeannette Bougrab.

A la Halde, où l’on dit n’avoir « aucune information en interne ni sur le nom de ce successeur ni sur la date à laquelle il sera nommé », on attend « le décret d’application qui nous donnera un nouveau président. »

Or, à l’Elysée, on n’est visiblement pas pressé de communiquer sur ce dossier : il nous a été opposé une fin de non-recevoir à notre demande d’informations.

Pourquoi ce silence ? Serait-ce l’aveu que derrière cette « péripétie personnelle se joue en fait le sort de la Halde », comme le croit Jean-Pierre Dubois, le président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), membre du comité consultatif de la Halde ?

C’est aussi l’avis de Laurent El Ghozi, président de la Fédération nationale des associations solidaires des tsiganes (Fnasat), également membre de ce comité consultatif. « La question, ce n’est pas seulement qui pourrait être proposé au poste de président de la Halde, mais qui pourrait accepter un tel poste sans garantie d’exister encore dans 6 mois », souligne-t-il.

Une décision de l’Elysée

Car, pour l’un comme l’autre, il ne fait aucun doute que « la disparition de la Halde est programmée ». Le parcours législatif du projet de loi du gouvernement, qui doit voir les missions aujourd’hui assurées par le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et la Halde concentrées entre les mains d’une seule et même personne, le Défenseur des droits, n’est pourtant pas terminé. Adopté en première lecture au Sénat en juin, il doit être examiné à l’Assemblée nationale à partir du 13 décembre. Mais les personnes interrogées par Nouvelobs.com ne se font aucune illusion sur l’issue du vote.

Car « la décision de faire disparaître la Halde vient de l’Elysée », affirment-ils à l’unisson. « Sarkozy ne supportait pas ces autorités indépendantes de défense des droits et il a fini par avoir leur peau », estime ainsi Jean-Pierre Dubois.

L’ancien président de la Halde Louis Schweitzer faisait déjà état de cette animosité à l’égard de l’institution, en septembre dernier : « La Halde n’a pas que des amis et elle a suscité l’hostilité de certains politiques, en prenant position sur des dispositions de la loi Hortefeux sur l’immigration, dont les tests ADN ». C’est ce qui expliquait à ses yeux les conclusions peu amènes que le rapport de la Cour des comptes tirait de ses 5 ans passés à la tête de l’institution : « absence de contrôle », « marchés à la limite de la légalité » et « opacité dans les opérations financières ».
Un rapport qui avait mis le feu aux poudres : début novembre, la députée villiériste Véronique Besse déposait une proposition de loi pour supprimer la Halde, la jugeant « coûteuse » et « inutile », tandis que 80 députés UMP déposaient un amendement demandant le gel de son budget, qui a été entériné mercredi 17 novembre à l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de budget pour 2011.

Pour Jean-Pierre Dubois, « le départ de Jeannette Bougrab et le gel des crédits prouvent le peu de cas que l’Elysée se fait de cette institution. Si l’on considère qu’elle n’a pas besoin d’argent ni de président, cela signifie que l’on considère que l’on n’a pas besoin d’une institution qui lutte contre les discriminations, donc qu’il n’y a plus de discrimination en France », pointe-t-il dans un ironie teintée d’amertume. Et d’ajouter qu' »on peut habiller tout ça sous une question de vertu financière, cela ne trompe personne », rappelant que « Nicolas Sarkozy avait déjà essayé de couper les crédits de la CNDS. Son appétit est tel qu’à un moment il a même pensé à se faire la CNIL. »

La fin de l’indépendance

Le président de la LDH comme son homologue à la Fnasat estiment que la décision de nommer Jeannette Bougrab à la tête de l’institution était déjà le signe d’une volonté de l’Elysée de reprendre la main sur la Halde. « Nommer quelqu’un de jeune qui voulait faire son chemin en politique et de surcroît à l’UMP, c’était parier sur le fait qu’elle ne chercherait pas à gêner le pouvoir », estime Laurent El Ghozi.

Ce pari était le bon, à l’entendre : « En interne, Jeannette Bougrab a fait l’unanimité contre elle. Cela fait six mois qu’il y a un problème de fonctionnement à la Halde, même un dysfonctionnement, car sa présidente a manqué d’indépendance ». Et de rappeler qu’en pleine polémique sur les Roms, cet été, l’ex-présidente de la Halde avait déclaré qu’elle n’était pas choquée par les reconduites de milliers de membres de cette communauté. La Halde avait cependant pris position contre la réforme des retraites, en estimant qu’elle « risquait de pénaliser les femmes plus que les hommes ».
Mais ce n’est visiblement pas ce que l’Histoire retiendra du séjour de Jeannette Bougrab à sa tête. D’autant que l’information du Canard enchaîné, que l’intéressée a toujours démentie et pour laquelle elle a porté plainte, selon laquelle elle aurait cherché à faire doubler son salaire n’a pas contribué à redorer son image.

Reste que même si les associations ne pleurent pas Jeannette Bougrab, « l’institution n’a, alors qu’on arrive au moment le plus critique, même plus de président pour la défendre », souligne le président de la Fnasat. Ce qui est d’ailleurs aussi le cas pour le Médiateur de la République, autre instance qui pourrait être absorbée par le défenseur des Droits, depuis que Jean-Paul Delevoye a été élu mardi 16 novembre à la présidence du Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Ne reste plus que Dominique Versini, Défenseure des enfants, pour dénoncer, comme elle l’a fait lundi, « la disparition des autorités indépendantes », qui, selon elle, « a un sens politique ».
En l’état actuel du projet de loi sur le Défenseur des droits, « les têtes des autorités indépendantes disparaissent et les adjoints (au Défenseur des droits) n’auront que les compétences qu’il voudra leur transmettre ou leur déléguer », estime-t-elle.

C’est exactement ce que craint Laurent El Ghozi : « Il y a clairement une volonté de mise sous tutelle d’une autorité indépendante. Dans le projet de défenseur des droits, la lutte contre les discriminations se retrouve sans moyen, sans collégialité, sans participation de la société ». « On va remplacer une instance collégiale indépendante par un contre-monarque qui ne pourra gêner le monarque », dira autrement Jean-Pierre Dubois.
Ce que le rapport parlementaire présenté jeudi 28 octobre par les députés René Dosière (app. PS) et Christian Vanneste (UMP) constate également : car s’il appuie le projet de fusion de ces autorités au sein du Défenseur des droits, (parce qu’un tel regroupement favoriserait selon eux une maîtrise de leurs dépenses) il déplore néanmoins que cette personnalité soit nommée par le chef de l’Etat et non le Parlement, ce qui permettrait de « garantir » son indépendance.

Bernard Kouchner ou Jack Lang ?

Une inquiétude que les noms de candidats potentiels au poste de Défenseur des droits qui circulent sont loin de calmer : Jack Lang ou Bernard Kouchner, ce dernier ayant remercié Nicolas Sarkozy, dans une lettre qu’il lui a adressée en août, de lui avoir proposé le poste, comme l’a révélé Le Nouvel Observateur. « L’un comme l’autre, ce serait une très mauvaise idée, car un Défenseur des droits doit se montrer indépendant du pouvoir, quel qu’il soit. C’est une vraie préoccupation de démocratie », s’alarme Laurent El Ghozi.

Dans un tel contexte, l’Elysée pourrait-il être tenté de laisser la Halde sans président jusqu’à ce qu’elle soit dissoute ?
Si tel était le cas, cela pourrait conduire à une paralysie de l’institution, puisque depuis le départ de Jeannette Bougrab, « son fonctionnement est bloqué, aucune délégation de signature n’ayant été donnée par le président », signale Laurent El Ghozi.
A la Halde, on conteste cette analyse des statuts : « Deux vice-présidents ont été nommés le 6 septembre 2010 et ont la possibilité de présider les Collèges si le(la) présidente est absente », nous explique-t-on, en nous renvoyant en outre au texte de loi portant création de l’autorité.

N’empêche, au sein de l’institution, on semble bel et bien marcher sur des oeufs : on ne veut pas commenter la possibilité qu’il puisse n’y avoir jamais de successeur à Jeannette Bougrab, et on préfère se rassurer en invoquant « le précédent » de la vacance du pouvoir qui avait suivi le départ de Louis Schweitzer. « Le poste de président était alors resté inoccupé pendant plus d’un mois, jusqu’au décret d’application du 16 avril dans lequel l’Elysée a nommé Jeannette Bougrab », rappelle-t-on.

Reste que l’on ne se fait pas non plus d’illusion sur le résultat du vote à l’Assemblée sur le projet de loi. Mais on veut croire que « c’est comme lorsqu’il y a une fusion dans le secteur privé : la marque disparaît mais la mission perdure. » On espère même que sera corrigé le problème de la Halde : « Actuellement, quand on ne peut pas prouver qu’il y a eu discrimination, la Halde est très souvent obligée de clore le dossier du réclamant ». Ce sera donc mieux avec le Défenseur des droits ? « Cela dépend des missions qui lui seront confiées », nous répond-on, prudent.

Sarah Halifa-Legrand –

Nouvelobs.com

http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/politique/20101119.OBS3228/halde-une-disparition-programmee.html

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