TUNISIE- UNION EUROPENNE: Le « statut avancé » en gestation

Manœuvres diplomatiques, connivences et désinformation.

Par Khémaïs CHAMMARI

A l’occasion de l’importante visite à Tunis de Mr Stephan Füle, commissaire européen « à l’élargissement et à la politique européenne de voisinage », la presse quotidienne officielle (mais il n’y a que celle là !) s’est livrée , une fois de plus, à un affligeant exercice de désinformation auquel il suffit d’opposer les dépêches des agences internationales de presse (AFP, Associated Press, ) et … le communiqué officiel de l’U.E ! Mais , par delà cette instrumentalisation « routinière » , la seule certitude – dans un contexte de coopération pourtant des plus favorables – est que ce processus qui butte sur le volet « des libertés et des droits de l’homme » , « n’en est, pour reprendre les termes mesurés de Mr S. Füle, qu’à ses débuts ».
Les manœuvres diplomatiques et les connivences n’y changeront rien : le « passage en force » pour obtenir un « rehaussement » au moindre coût est difficilement envisageable.

Seize mois après la session du Conseil d’association, à l’issue de laquelle il avait manifesté son vif intérêt pour accéder, à l’instar du Maroc, à un « statut avancé » dans ses relations avec l’Union Européenne (U.E.), le gouvernement tunisien a enfin transmis le 18 mars 2010 le fameux « document diplomatique » précisant sa vision de ce « statut avancé ».
Comme le rappelle le CRLDHT , le « statut avancé » est, selon la formule consacrée, « moins que l’intégration – adhésion mais plus que l’association ». Il constituerait, aux yeux des autorités tunisiennes, un « acquis de prestige politique », consacrant et renforçant, au niveau des engagements politiques et financiers de l’U.E., la situation privilégiée de la Tunisie en sa qualité d’« élève appliqué» et d’ «enfant chéri » du Partenariat Euro Méditerranéen.
« A la veille de l’amorce de la présidence espagnole (janvier – juin 2010), le gouvernement tunisien avait relancé, en pleine tourmente du raidissement politique qui a précédé et suivi l’échéance électorale d’octobre 2009, la question du « rehaussement » et du « statut avancé ». Les autorités tunisiennes escomptaient mettre à profit l’appui inconditionnel de l’Espagne, de la France et de l’Italie, pour tenter un véritable passage en force qui leur aurait permis d’escamoter le débat sur les engagements en matière de réformes politiques qu’impliquerait ce « rehaussement ». Il leur a fallu, toutefois, déchanter et le débat public du 19 janvier 2010 au Parlement Européen sur « les relations UE – Tunisie, en particulier du point de vue des droits de l’Homme et de la Démocratie », a confirmé à quel point le gouvernement tunisien n’était pas disposé à prendre des engagements crédibles et effectifs en matière de réforme, récusant notamment le fait que l’U.E. « puisse avoir un avis autorisé sur l’évolution de la politique tunisienne ».
Une partie de « poker-menteur » est alors engagée par la diplomatie tunisienne pour tenter, y compris par la désinformation (tels les propos complaisants prêtés abusivement à des responsables de la Commission Européenne), de créer « de facto » une situation favorable au « rehaussement » sans pour autant prendre des engagements précis sur le fond et, à plus forte raison, en termes d’échéances.
C’est dans ce contexte que s’est réunie à Tunis la 3ème session du Sous Comité des droits de l’Homme Tunisie – U.E. (25 février 2010) au cours duquel la partie tunisienne a fait preuve, essentiellement dans la forme, d’une relative « flexibilité » et d’une certaine « réactivité ». (voir le communiqué du CRLDHT du 18 février 2010)
Dans la foulée de cette réunion, la diplomatie tunisienne a accentué, le plus souvent en catimini et dans une certaine opacité, le « forcing » auprès des Etats membres de l’U.E. et de certaines instances du Partenariat Euro-méditerranéen.
C’est ainsi que s’est tenue à Bruxelles le 24 mars 2010, dans des conditions préparatoires d’une extrême « discrétion », la XIIIèmerencontre interparlementaire Parlement Européen – Parlement Tunisien ; prélude à la première visite à Tunis les 29 et 30 mars 2010 de Stefan Fülle, le Commissaire Européen « à l’élargissement et à la Politique Européenne de Voisinage ».
Cette visite d’échanges avait pour objectif principal la signature d’un « mémorandum d’entente relatif au nouveau Programme Indicatif National (PIN) couvrant la période 2011-2013 avec un budget de 240 Millions d’Euros . Le PIN fixe, en quelque sorte, le cadre triennal stratégique pour la coopération technique et financière entre l’UE et la Tunisie. Rien à voir donc- contrairement à ce que « certains commentateurs » ont laissé entendre – avec le document transmis il y a douze jours, par les autorités tunisiennes à Bruxelles concernant le fameux « statut avancé » si convoité . Tout au plus – et cela n’est pas négligeable – la visite du Commissaire européen peut –elle être considérée comme le feu vert donné « à l’examen des conditions dans lesquelles la Tunisie pourrait bénéficier du statut avancé ».
Abordé lors des entretiens du Commissaire européen à Tunis, le débat sur « le statut avancé » entre ainsi dans la phase « des négociations détaillées » qui risquent d’être d’autant plus ardues que le gouvernement tunisien espère toujours pouvoir occulter – ou à tout le moins éviter – les questions qui fâchent : Droits de l’Homme, réforme et indépendance de la justice, Etat de droit, Liberté et pluralisme de l’information, liberté d’association, gouvernance et lutte contre la corruption.
La difficulté est que, par delà les questions économiques, l’engagement effectif pour des réformes politiques constitue un critère décisif pour le « rehaussement ». A l’évidence, le document transmis à Bruxelles par les autorités tunisiennes est en deçà de ce qui a été obtenu en novembre 2008 avec le Maroc. A suivre donc avec attention et vigilance.
Comme le note le site « Les Afriques » dans son édition du 31-03-2010, « Fidèle à sa qualité de diplomate , Mr Stefan Füle, s’est contenté de qualifier le dossier tunisien « de très important », renvoyant médias et observateurs à leurs interrogations. En fait, le dossier piétinerait sur le volet «libertés et droits de l’homme». «Cela fait près de deux ans que nous attendons l’engagement de la Tunisie dans ce processus auquel on entend donner de l’impulsion», commente le diplomate européen, en marge d’une conférence de presse. »
On ne saurait mieux dire.
K.C.

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