Pourquoi ? Comment accueillir la poésie palestinienne contemporaine ?

Pourquoi ? Comment accueillir la poésie palestinienne contemporaine ?

Pour les premiers réfugiés, exilés palestiniens mais aussi pour toutes celles et ceux restés sur la terre de Palestine malgré l’occupation et l’expansion des colonies israéliennes, la poésie a joué et joue toujours un rôle essentiel en tant qu’ambassadrice culturelle de la cause du peuple palestinien et sa résistance pour la création d’un état démocratique pluriconfessionnel, multiculturel.

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Depuis 70 ans, plusieurs générations de poètes se sont ainsi succédées. Parmi ces poètes, les plus connus en Occident se nomment : (Mahmoud Darwich…Samih Al Qâssim…) mais il y en a aussi beaucoup d’autres très appréciés du peuple palestinien. Ils portent en leur écriture, les odeurs de la terre, les parfums des fleurs et des arbres fruitiers sous les quatre saisons. Ils n’ont pas tant exprimé la nostalgie, la soif, la faim d’un pays dans lequel il ferait bon devenir et grandir, qu’affirmé le besoin pour la terre elle-même d’abriter et de faire vivre en paix les enfants qu’elle a vus naître et qui lui prodiguaient leurs soins amoureux aussi bien que protecteurs de ses fertilités.
La poésie palestinienne fait ainsi partie du souffle de son peuple, elle rythme sa respiration malgré l’oppression, elle nourrit l’espoir de jours « d’épaule nue où les gens s’aimeront » comme chantait en France Louis Aragon, elle invoque son urgence de liberté comme l’écrivait sur son cahier d’écolier Paul Eluard à l’adresse de son peuple alors sous occupation, elle exhorte l’enfant au courage de jouer et de rire malgré les bombardements et de conserver son tendre étonnement devant l’élan d’une gazelle à travers la colline.
Pour une jeune fille palestinienne comme pour son amoureux et inversement, la poésie n’est pas une joliesse d’expression, un moyen de verser ses épanchements, de déclarer son inclination ou encore de s’évader quelque peu de la réalité pour en supporter la dureté au quotidien. Elle est en revanche la marque du sceau de cette verticalité humaine irréductible à la condition qu’on voudrait lui écrire dans les gestes, les mots qu’elle n’a pas choisis librement et dont on lui fait la vie.

Soixante-dix ans après ce qu’on pourrait nommer les « poètes de la résistance », l’exigence de la reconnaissance du droit d’un peuple à disposer de lui-même, à choisir son organisation en société, à jouir de ses droits universels, n’a pas faibli. Aujourd’hui les jeunes poètes palestiniens sous occupation ou en exil, n’ont pas cédé leur souffle pour une quelconque accoutumance aux tribulations de l »histoire et à la suspension des signes d’avenir adressés à leur peuple. Leur langue est autant pétrie de la dimension allégorique dont leur culture est porteuse et elle ne déploie pas moins de féeriques horizons, hérités des flots de contes de la tradition.
Cette langue, jeune, de la poésie contemporaine palestinienne fait ce jour le compte de la durée qui depuis trois générations voit se poursuivre sans fin apparente et selon une tonalité d’échec, le scénario redondant des événements de ballets diplomatiques.
Elle connaît le jeu de « yoyo » propre à une certaine histoire écrite par les grandes puissances vis à vis d’autres peuples…Elle éprouve ce sentiment d’abandon, d’oublié qui imprègne chaque instant du quotidien livré au mauvais vouloir des gouvernants… Elle n’ignore pas les inventaires, argumentaires visant à se « faire une raison », elle les refuse et construit la voie triomphale, poétique de l’expression de son refus…

Une telle voie est humble et persévérante à travers les reliefs escarpés d’une histoire du juste, elle forge sa souplesse et son agilité à la taille de son moral.
Ce n’est ni un moral de fer, d’acier mais ce moral de TERRE où l’olivier plusieurs fois centenaire, s’accroît en puissance de tenir à son sol, c’est un moral à la mesure de la vastitude autant que de la diversité des paysages d’écriture que la nature offre à l’Homme.

En ce début du 21è siècle, les poètes non moins que les artistes palestiniens ont une hauteur d’espérance, d’optimisme qui malgré les coups portés, résonne de la richesse généreuse de la terre : cette terre plus grande et forte que toutes les petitesses, les ambitions mortifères rassemblées en une puissante armée humaine suréquipée. Leur poésie est plus ferme, tenace et créative que les imaginaires les plus sophistiqués des consciences guerrières. La puissance de la poésie palestinienne tient aujourd’hui à sa foi en la grandeur du verbe pour affronter la bassesse des pourfendeurs d’espoir, la cruauté des persécuteurs de mémoire, la prétention des raisonneurs.
A travers ces écritures poétiques diverses, on saisit l’heureuse communauté d’une langue de l’humour, de l’ironie, de la mise en dérision de tous les effets spéciaux des bourreaux des temps post-modernes, lorsqu’ils se retrouvent face aux senteurs de jasmin qui perlent dans le regard défiant d’une adolescente menacée par le soldat qui cache l’Homme *.
A la différence de beaucoup de clichés relatifs au rôle de la poésie dans l’histoire, la poésie palestinienne contemporaine n’a d’autre prétention que repousser les langues de la médiocrité et leurs crimes historiques, dans la patrie de leur barbarie, hors de tout seuil de tolérance…
Un poème s’écrit là, au quotidien de vivre libre sur les hauteurs du défi lancé à l’éternelle soumission devant la force…
Philippe Tancelin Mars 2018
*En soutien à Ahed Tamini (16 ans) condamnée par un tribunal militaire Israélien à 8 mois de prison pour avoir giflé le soldat d’occupation qui s’était introduit dans sa maison.

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