Par Michel Tubiana, Président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme
Je suis juif. Aussi loin que ma mémoire remonte je n’ai jamais ignoré ce fait. En aurais-je été tenté d’ailleurs que la mémoire familiale qui n’a pas oublié la perte de la nationalité française et l’application du statut des juifs en Algérie m’en aurait dissuadé. Et mes premières années de lycée en France ont renforcé cette réalité : mes oreilles résonnent encore de quelques « sales juifs » ou de la rhétorique d’un individu que je retrouverai plus tard au service des étrangers de la préfecture de police de Paris (!) qui trouvait que les juifs étaient largement responsables de leur propre destruction.
Les assassinats de ces deux dernières années rappellent que le pire est toujours possible. Mais je suis un Français juif et, à ce titre, je n’ai pas d’autres fidélités que celles qui me lient à une certaine France, à une culture dans laquelle j’ai été éduqué. Et ces références, alliées aux valeurs familiales, ne sont pas pour rien dans ma prise de conscience politique et philosophique qui déterminera plus tard mon engagement dans plusieurs organisations telle la Ligue des droits de l’Homme.
Ce sont mes fidélités, je les ai choisies et je n’entends pas que l’on m’en impose d’autres au prétexte que je suis juif. Qu’un homme politique profite des peurs du moment pour creuser son sillon est déjà détestable. Qu’il utilise chaque victime pour créer des divisions, établir des distinctions et pousser chacun à se méfier de l’autre, voici qui est intolérable.
Benjamin Netanyahou n’a aucune légitimité à appeler les juifs à s’exiler en Israël. J’emploie le mot « exil » à dessein car Israël n’est pas mon pays, pas celui où je suis né, pas celui où j’ai appris, pas celui où je lutte, y compris contre l’antisémitisme, l’islamophobie et toute forme de racisme. D’autres juifs ont fait le choix de vivre en Israël. Ce sentiment national est aussi respectable que tout autre sentiment national mais rien ne me force à y adhérer.
Mon choix est inverse, je ne suis pas en diaspora et mon refuge, si je dois chercher refuge, c’est la France de Jaurès, de Blum et de tant d’autres. L’opportunisme du premier ministre Israélien n’a pas comme seule vocation la croissance numérique d’une population en mal d’enfants, il a aussi pour effet de lier la lutte contre l’antisémitisme à la problématique du conflit israélo palestinien. Je refuse ce trait d’union que tous les responsables israéliens ont toujours voulu tiré entre leur politique et les juifs d’une autre nationalité.
Je n’ai aucune solidarité a priori avec une politique d’Etat encore moins si cette solidarité doit être religieuse ou ethnique. On ne me fera pas cautionner une politique, surtout quant elle conduit à coloniser un autre peuple, parce qu’un Etat s’est arrogé le droit de parler en mon nom. Les dirigeants des organisations communautaires juives françaises devraient avoir bien présent à l’esprit que l’indispensable lutte contre l’antisémitisme ne passe pas par une défense inconditionnelle de la politique israélienne. Elle passe par une lutte commune qui nomme les différentes formes de racisme, n’en tolère aucune, ne stigmatise aucune communauté et s’attaque à ces discriminations qui dénaturent la République.
C’est ainsi que l’on peut espérer retrouver l’égale dignité des hommes et des femmes de ce pays. La fraternité en somme.