Martine Blanchard : Militante associative, ATTAC et LA CIMADE
Depuis l’été, une vague de violences s’abat sur les migrants subsahariens installés au Maroc et ne cesse de s’amplifier.
Les forces de l’ordre accompagnées de civils font des rafles dans les banlieues de Rabat (Attakadoum, Annahda), à Nador et dans ses environs. Ils attaquent et pillent les habitations des migrants, emportant passeports, habits, matelas, TV, ordinateurs, frappent les occupants, femmes et enfants y compris, laissant de nombreux blessés sur place.
Les personnes arrêtées sont refoulées collectivement, femmes enceintes et enfants inclus, à la frontière algéro-marocaine d’AL Aleb, située à 14 kilomètres d’Oujda. D’après plusieurs témoignages que nous avons recueillis lors du Forum Social Maghrébin qui s’est tenu les 6 et 7 octobre à Oujda, du côté algérien, les migrants sont dépouillés de leurs biens (argent, portables, vêtements) et subissent, pour les hommes, des sévices sexuels en public et, pour les femmes, des viols systématiques accompagnés de violences pouvant être qualifiées de tortures. Ils sont ensuite, au milieu de la nuit, contraints à refranchir la frontière et à parcourir à pied, nus, la distance les séparant d’Oujda. Certains, arrêtés de nouveau dans des rafles, subissent plusieurs refoulements.
Depuis le début de l’année, selon les associations marocaines de défense des droits humains, GADEM, AMDH, ce sont des centaines de migrants qui ont été refoulés vers cette frontière. « Les refoulements sont systématiques et ne respectent aucunement les lois en vigueur sur le plan national et international ».
Les réfugiés et demandeurs d’asile, pourtant protégés par la législation marocaine, subissent le même sort. « Les refoulés subissent les affres d’une simple décision administrative collective et non pas d’une décision judiciaire ».
Pays d’émigration, le Maroc et devenu un pays de transit et d’immigration. Des subsahariens, restés au Maroc après leurs études universitaires ou ayant réussi à trouver un emploi, sont installés depuis une dizaine d’années et participent à la vie économique du pays. Cependant ils ont de grandes difficultés à obtenir une carte de séjour, un emploi à la hauteur de leurs compétences et à faire respecter leurs droits humains et citoyens élémentaires.
Par ailleurs, un nombre élevé de migrants, difficile à chiffrer, vivent dans l’espoir de traverser « le rideau de fer » qui les sépare de l’Europe, soit en franchissant les « barrières » des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla soit en traversant la Méditerranée au risque de leurs vie. Ils vivent de façon précaire, souvent dans une grande misère « je dors à même le ciment, je n’ai même pas une natte » dit une migrante camerounaise, dans les quartiers pauvres des grandes villes ou dans la forêt de Bni Nsar, dans les environs de Nador.
Dans cette région, les migrants reçoivent une aide médicale de Médecins Sans Frontières, des tentes et des vivres du HCR mais quand les forces de police font une rafle, elles brûlent les tentes et détruisent vivres et matériel.
Pour les migrants subsahariens installés au Maroc, la vie est extrêmement difficile. Les migrants présents au forum d’Oujda apportent des témoignages sur les agressions qu’ils subissent, au travers de videos et de photos enregistrées sur leurs portables et égrènent une longue série de souffrances et d’humiliations.
Les subsahariens sont tout d’abord victimes d’un racisme primaire dans leur vie quotidienne. « De nombreux passants, y compris des enfants, se bouchent ostensiblement le nez quand ils nous croisent dans la rue » ou leur lancent des insultes. Tout leur est proposé plus cher : biens de consommation courants, location de logements. L’habitat dans certains quartiers et des emplois leur sont refusés « en raison de la couleur de la peau ».
Les droits élémentaires à la santé et à l’éducation leur sont refusés. Ils n’ont pas accès aux soins à l’hôpital, les enfants ne sont pas acceptés dans les écoles publiques. Seules les femmes disposant de certains revenus peuvent les inscrire dans des écoles privées.
Enfin, les enfants nés sur le territoire marocain n’ont pas d’acte de naissance. Quel sera leur avenir ?
Les femmes sont les plus grandes victimes de cette situation, privées d’emploi, soumises aux viols et abus sexuels, dépourvues de soins, elles souffrent dans leur chair, dans leur dignité de femmes et dans leur amour de mères.
D’après des informations récentes que nous tenons de Rabat, la recrudescence actuelle des violences à l’encontre des migrants incite un grand nombre d’entre eux à faire la demande auprès de l’OIM d’être rapatriés dans leur pays d’origine. L’OIM, ne pouvant satisfaire toutes les demandes, ceux-ci envisagent de retraverser le Sahara en sens contraire pour rejoindre leur pays. Un groupe d’une cinquantaine de migrants est déjà parti et seuls trois d’entre eux ont donné de leurs nouvelles à leur arrivée. Qu’en est-il des autres ? Est-ce que l’on peut imaginer le nombre de morts à venir dans le Sahara si un exode massif se produit ?
Qui est responsable de cette situation tragique, du déni des droits humains et du non-respect des conventions internationales veillant à leur application ?
Le gouvernement marocain qui n’applique pas les conventions qu’il a signées, les pays d’origine des migrants subsahariens qui ne protestent pas contre les violations des droits de leurs ressortissants, l’Union Européenne et ses pays membres qui « externalisent leurs frontières » en imposant aux pays du Maghreb de contenir sur leur territoire les migrants en provenance des pays du sud. Des accords bilatéraux entre pays ou entre l’Union Européenne et un pays, subordonnent l’aide au développement à des mesures de « sécurisation des frontières » -camps de rétention, formation et équipement des forces de l’ordre entre
autres- et à la signature d’ « accords de réadmission » permettant d’expulser rapidement les migrants vers leur pays d’origine.
Comment l’Union Européenne qui se fait fort de sa réputation de défenseur des droits de l’Homme peut-elle fermer les yeux sur les graves violations des droits de l’Homme qui sont commises à l’encontre des migrants qu’elle « assigne à résidence » de l’autre côté de la Méditerranée ?
Martine Blanchard
Militante associative, ATTAC et LA CIMADE