Le ministre de l’Intérieur persiste et signe. Claude Guéant continue ce vendredi à jouer le rôle de rabatteur des voix du Front national pour l’UMP que tenait son prédécesseur Brice Hortefeux. Jeudi, il affirmait: « Les Français, à force d’immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux », ou « de voir des pratiques qui s’imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale. » Ce vendredi midi, il a surenchéri: « J’ai dit que les Français souhaitent que la France reste la France. Je m’étonne que l’on puisse contester ce constat… J’ai dit que les Français avaient l’impression qu’à force de ne pas contrôler l’immigration, ils ne se sentent plus chez eux. C’est la réalité que vivent les Français. »
Affirmant n’avoir « rien de commun » avec le Front national, le premier flic de France a pourtant lourdement insisté: « C’est ce que pensent les Français et c’est extrêmement important de tenir compte de cette réalité pour que notre pays reste ce qu’il est, c’est-à-dire un pays de respect et de tolérance. »
•L’UMP court derrière le Front national
De prime abord, il est étonnant que le ministre de l’Intérieur mette en cause neuf ans de sécuritarisme poussé à l’extrême par Nicolas Sarkozy, d’abord à l’Intérieur (2002 à 2004 et 2005 à 2007), puis à l’Élysée. Depuis 2007, quelque 110.000 étrangers en situation irrégulière ont été reconduits à la frontière, tandis que 100.000 ont été refoulés alors qu’ils tentaient d’entrer en France
Mais la majorité présidentielle est à la peine dans les sondages consacrés aux intentions de vote pour les élections présidentielles de 2012. Elle multiplie les petites phrases pour faire du pied à l’électorat frontiste. Hier et aujourd’hui, Claude Guéant n’a fait que battre le fer de la peur de l’invasion étrangère qu’il avait déjà mis au feu dès son arrivée à la Place Beauvau en insistant sur la nécessité «de lutter contre l’immigration irrégulière qui, c’est un fait, (…) inquiète » les Français. Son patron, Nicolas Sarkozy, avait lui-même lancé cette stratégie politique en parlant en janvier «des flux migratoires devenus incontrôlables» et d’une «Europe en première ligne».
L’orchestration bat son plein. Le ministre de l’Intérieur intervient sur le thème trois jours après le couplet de la députée UMP Chantal Brunel: « Il faut que l’Europe se groupe pour donner des moyens financiers à l’Italie pour affréter des bateaux pour les reconduire dans les pays d’origine. »
•L’extrême droite ravie
Il n’est pourtant pas sûr que l’UMP siphonne les voix du FN comme il l’avait fait lors des présidentielles de 2007, avec ce genre de dérapages plus ou moins contrôlés. Jeudi, Marine Le Pen ironisait: Claude Guéant « mérite d’être adhérent d’honneur et de prestige du FN… Ce sont les propos que tient le FN depuis des années et que M. Guéant et ses amis ont toujours contestés. Il m’apparaît que M. Guéant a été touché par la grâce. » La patronne du FN sourit d’autant plus que les sympathisants UMP semblent de plus en plus séduits par son discours (lire notre article ici).
•Tiraillements à droite
Le gouvernement, par la voix de son porte-parole ce vendredi matin, semble faire bloc derrière son ministre de l’Intérieur. « Il n’y a pas de procès en sorcellerie à faire. Ce qui me semble important dans la phrase de Claude Guéant, c’est »incontrôlée », c’est pas tout le reste et tout le tintouin qu’on en fait », a déclaré François Baroin sur RTL. Mais interrogé sur France 2, François Fillon s’est montré en retrait. « Je ne m’attache pas aux tournures de phrases. Je m’attache à la politique qu’on conduit. A la politique que conduit Claude Guéant, sous l’autorité du président de la République et du Premier ministre », a déclaré le Premier ministre, avant d’ajouter: « L’immigration clandestine empêche l’intégration. L’immigration clandestine exaspère nos concitoyens. »
Chez les députés UMP, les propos de Claude Guéant ont été diversement appréciés. « Claude Guéant a tenu un langage de vérité, et relayé ce que les Français nous expriment dans nos villes, nos villages », a affirmé Eric Ciotti. « Insupportable et surtout suicidaire », s’est quant à lui indigné Jean-Pierre Grand. Ce proche de Dominique de Villepin voit plutôt dans les affirmations de Claude Guéant un « appel à voter FN, parce que les électeurs préfèrent l’original à la copie ».
•Inacceptable pour la gauche
Le Parti communiste français a jugé « terrifiante » la petite phrase d’un ministre devenu « un rabatteur de voix » pour le FN. Au Parti socialiste, la première secrétaire Martine Aubry a jugé que tenir les propos de Claude Guéant « à trois jours du premier tour » des cantonales et « nous faire pleurer des larmes de crocodile en disant que le FN augmente, c’est vraiment se moquer des valeurs de la République ». « Cynisme venimeux », s’est exclamée de son côté la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, Cécile Duflot.