Dans cet entretien, le coprésident du Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples, Mouloud Aounit, explique les raisons qui ont motivé le MRAP à interjeter une action en justice contre le Front national et son président, Jean-Marie Le Pen. Il explique que l’islamophobie a en partie remplacé le racisme traditionnel anti-maghrébin.
Ce n’est pas la première action devant la justice que vous intentez contre le Front national. Celle concernant l’affiche du mouvement des jeunes du FN entre-t-elle dans le même ordre ? Un degré supplémentaire dans la xénophobie aurait-il été franchi ?
Le MRAP a engagé plus d’une trentaine d’actions contre le Front national sur le terrain de l’injure, de la diffamation et de la provocation à la haine raciale, mais c’est la première fois que le MRAP poursuit en justice la personne de Le Pen sur le terrain de l’islamophobie. Cette affiche prolonge le racisme anti-arabe. En s’adaptant à la mutation et à l’expression nouvelle de ce racisme qu’est l’islamophobie, un degré supplémentaire vient d’être franchi par la violence des messages et des provocations véhiculés par cette affiche. Elle est en soi une incitation à la haine et à la violence contre une communauté (algérienne), une religion (l’Islam), un pays (l’Algérie), prenant en otage non seulement tout un peuple, mais aussi une population franco-algérienne stigmatisée et présentée comme un danger et une menace pour la France.
Comment expliquez-vous la virulence du FN et de Jean-Marie Le Pen à l’encontre des immigrés algériens et des Français d’origine algérienne ? Plus, il s’en prend directement à l’Etat algérien ?
La haine obsessionnelle de Jean-Marie Le Pen à l’encontre des Algériens et des Français d’origine algérienne relève d’une part d’une stratégie politique où, à la veille des élections régionales, le Front national recherche par cette manœuvre à ressusciter les relents de la guerre d’Algérie et vise à mobiliser une base électorale composée de pieds-noirs et de nostalgiques de l’Algérie française. D’autre part, cette posture prolonge le passé de Jean-Marie Le Pen qui veut en la circonstance prendre une revanche sur son passé. N’oublions pas que Jean-Marie Le Pen a été député poujadiste en 1956, qu’il a démissionné pour s’engager dans les paras, qu’il a torturé à la villa Susini, etc. Donc c’est à la fois une continuité et une revanche par rapport à son engagement durant la guerre d’Algérie.
Jean-Marie Le Pen tire-t-il ses dernières cartouches ?
Non, je ne crois pas qu’il tire ses dernières cartouches : il est et reste fidèle à ce qui a structuré sa vie, ses idées, et son comportement. Ce qui l’insupporte c’est que ces enfants de « fellagas », ces ennemis viscéraux, sont désormais des Français comme lui.
Le racisme anti-algériens et anti-musulmans ne semble plus être le monopole de la seule extrême-droite. N’est-il pas en train de se banaliser ?
L’islamophobie a remplacé en partie le racisme traditionnel. On n’attaque plus tellement le Maghrébin parce qu’il est Maghrébin, mais parce qu’il est musulman. Nous vivons la banalisation de ce racisme depuis le 11 septembre 2001. Pourtant, les rapports de l’ONU et de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance ont tiré la sonnette d’alarme sur la montée du racisme et l’islamophobie en Occident. Pour notre part, depuis 2003, face à un développement inquiétant des passages à l’acte islamophobes (discriminations, provocations publiques, injures, profanation de lieu de culte, de cimetière), nous n’avons eu de cesse d’alerter les pouvoirs publics sur l’impérieuse nécessité d’une mobilisation contre l’expression de cette forme nouvelle de racisme. Force est de constater que 7 ans après, le gouvernement reste sourd à cette exigence de réparation, de justice, de dignité. Immobilisme vénéneux qui de fait participe à la banalisation et au passage à l’acte islamophobe. L’affiche du FN s’inscrit dans cette logique-là.
Le rapport de cinq années d’activité de la Halde établit le nombre de requêtes concernant l’origine à 30% du total, cela vous étonne-t-il ?
Non, cela ne m’étonne absolument pas. Cela traduit le climat ambiant dans la société française. Avec la banalisation de la parole raciste, les acteurs de la vie économique discriminent sans être vraiment inquiétés par la justice et les pouvoirs publics.
Le nombre de plaintes ou d’affaires de racisme, en général, et plus particulièrement contre les immigrés algériens ou Français d’origine algérienne porté à la connaissance du MRAP ou dont celui-ci s’est saisi, est-il en augmentation ?
Le MRAP ne regarde pas la nationalité d’origine des personnes victimes de discrimination. Mais globalement le Service juridique a déposé, pendant l’année 2009, 25 plaintes et traité 2700 signalements de faits qui relèvent du racisme et des discriminations visant les populations arabo-musulmanes.
La faiblesse de la représentation de la diversité aux élections régionales vous surprend-elle ?
Absolument pas. Cela confirme l’instrumentalisation et le piège que peut représenter ce concept de diversité qui, de fait, n’est qu’un alibi et un faire-valoir au détriment d’un traitement égalitaire de l’ensemble des citoyens français. La faiblesse de la représentation de la diversité à l’Assemblée nationale, aux élections régionales, dans la haute fonction publique, d’une manière générale dans les lieux de pouvoir, valide une France figée, bloquée, qui refuse de s’accepter telle qu’elle est et de traiter de manière équitable en termes de droits l’ensemble de ses citoyens. Pour preuve, outre les discriminations que vivent ces jeunes Français issus de l’immigration algérienne (4e génération), et malgré des réussites significatives au prix d’efforts colossaux, il se trouve, fait révélateur, des personnes touchant le grand public qui livrent sans retenue le positionnement de la France vis-à-vis des populations algériennes et leurs enfants. Ainsi, Eric Zemmour s’est fait récemment le chantre d’une politique assimilation.
En effet, il a osé déclarer sur une chaîne de grande écoute que lorsque l’on vit en France, on doit donner un nom français à son enfant. Par ailleurs, recyclant les clichés racistes du FN d’il y a 10 ans, il va jusqu’à justifier les contrôles d’identité au faciès en affirmant que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. Enfin, quand M. Longuet, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, considère que Malek Boutih n’est pas le bon personnage pour assumer la direction de la Halde, car ce dernier, par ses origines, n’est pas du « corps traditionnel de la France », cela confirme cette terrible et douloureuse réalité, à savoir qu’un Abdel, un Mouloud, ou une Fatima, ne seront jamais des Français à part entière et seront traités comme des sous-citoyens.