Irak, six années de destruction massive

Les pertes civiles irakiennes s’élèveraient de plus de 500 000, selon des ONG de défense des droits humains.

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L’armée américaine s’est retirée de toutes les villes du pays avant un retrait définitif des troupes de combat, fin 2011. Elle laisse un pays exsangue et fragilisé.

C’est lundi que l’armée américaine a achevé son retrait de toutes les villes irakiennes avant de se retirer définitivement d’Irak à la fin de 2011. La sécurité du pays sera désormais assurée par les 750 000 soldats et policiers irakiens qui prendront possession des 157 bases américaines évacuées. Selon l’accord signé l’an dernier entre les deux pays, Washington maintiendra une force de 100 000 hommes en Irak et une importante puissance aérienne. Il stipule également que les forces américaines n’auront le droit d’intervenir qu’en coordination avec les autorités irakiennes. Elles laissent toutefois un pays exsangue et fragilisé au double plan, politique et sécuritaire.
Ce retrait intervient six ans après le discours de George W. Bush du 1er mai 2003 sur le porte-avions Abraham-Lincoln annonçant la fin des combats. « Dans la bataille d’Irak, les États-Unis et nos alliés l’ont emporté. Et maintenant, notre coalition est engagée dans le rétablissement de la sécurité et la reconstruction de ce pays », déclarait-il alors. « Nous pourchassons et trouvons des dirigeants de l’ancien régime, qui seront tenus responsables de leurs crimes. Nous avons commencé à rechercher des armes chimiques et biologiques et nous avons déjà connaissance de centaines de sites qui seront examinés. » Avant de conclure : « Nous avons éliminé un allié d’Al Qaeda et supprimé une source de financement du terrorisme. » Certes, Saddam Hussein et une partie des dirigeants du Baas au pouvoir ont été appréhendés, jugés, condamnés à la peine capitale [1] . Mais la question des armes chimiques biologiques s’est avéré un énorme mensonge [2]. Quant au rétablissement de la sécurité et à la reconstruction du pays, la situation est loin d’être stabilisée. Et sur le plan économique, hormis la production pétrolière sur laquelle Halliburton a fait main basse, tout reste à faire. En bref, ce qui, dans l’esprit des faucons de Washington, ne devait être qu’une promenade militaire, s’est traduit par une terrible guerre de destruction, de tortures, de conflits interconfessionnels, avec en point d’orgue la communautarisation du pays.
Un processus de dislocation a débuté dès mai 2003, quand Paul Bremer, administrateur de l’Irak, a dissous l’armée et la police et engagé une purge massive du personnel des administrations et des entreprises publiques sous prétexte de « débaasification ». Le pays s’est ainsi retrouvé sans administration pour assurer le minimum. Sur le plan militaire, ces six années d’occupation se sont traduites par des pertes sévères pour l’armée américaine : plus de 4 300 marines et GI ont été tués, près de 50 000, soit la moitié des troupes engagées (146 000 soldats) ont été blessées, dont la plupart sont handicapés à vie. Selon le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, le coût de la guerre a dépassé les 2 000 milliards de dollars. Quant aux pertes civiles irakiennes – 103 000 tués de source officielle -, elles s’élèveraient de plus de 500 000, selon des ONG de défense des droits humains.
Pour venir à bout de l’insurrection, l’armée américaine a dû livrer de terribles batailles. Ainsi en a-t-il été du siège de Falouja, en 2004, ou des reprises en main sanglantes de Ramadi, Al Hamra, Routba, de Tell Affar entre 2005 et 2008. Elle a recouru à la torture, comme l’a montré le scandale de la prison d’Abou Ghraib. Quant aux disparus (voir témoignage ci-contre), ils sont aussi nombreux. Ces six années d’occupation ont vu, via l’adoption d’une nouvelle Constitution, l’introduction de la chariâa et, pour les femmes, l’annulation d’une loi promulguée en 1958 sous le régime du général Abdel Karim Kassem leur accordant une totale égalité avec les hommes. L’islamisme, sous ses variantes sunnites et chiites, s’est installé et structuré. La laïcité a reculé. Et, comme au Liban, c’est le vote confessionnel et ethnique qui a prédominé lors des scrutins législatifs et régionaux. Six années au cours desquelles les clivages intercommunautaires se sont renforcés, prenant de plus en plus souvent une tournure violente comme lors de la destruction par l’al Qaeda de Mossaab Zarkaoui du mausolée chiite de Samara, en février 2006.
Fin 2008, l’Irak, en tant qu’État et nation, a laissé place à un pays éclaté en trois entités ethnico-confessionnelles : un Sud chiite, une région Centre dominée par les sunnites et le nord du pays, érigé pratiquement en État autonome du Kurdistan. Avec, en arrière-plan, une capitale, Bagdad, où les diverses communautés sont séparées par des murs en béton. À côté de ces entités géoconfessionnelles aux limites géographiques floues, existent aussi des poches qui peuvent du jour au lendemain s’embraser. Il en est ainsi de Kirkouk, riche région pétrolière revendiquée à la fois par la forte minorité turcophone et par les Kurdes qui veulent l’annexer à la région autonome du Kurdistan. La Turquie a déjà averti qu’elle n’accepterait pas le rattachement de cette région au Kurdistan, tandis que ni l’Iran ni l’Arabie saoudite n’ont l’intention de rester passifs.

Hassane Zerrouky

Notes :

[1] L’Humanité du 2 janvier 2007.
[2] Après plusieurs mois de recherche, le millier d’enquêteurs déployés par Washington en Irak n’ont rien découvert et sont rentrés bredouilles aux États-Unis.

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